Une ruelle quelconque

- Non, et de toutes façons les convois militaires ne transportent pas les civils. En outre j'aurais pensé que tu réagirais... moins bien au fait d'apprendre que ton xenovox donne ta position à l'Empire en permanence.

Une manière bien aisée de mettre la main sur les resquilleurs.

Elle froncera les sourcils, de toute évidence il y avait eu un malentendu, un beau quiproquo :

- " C'était pas pour m'transporter moi, mais une lettre.. 'Fin bref tant pis j'trouverai un autre moyen "

Quant à la suite des propos du blond, il y eu un temps de latence du côté de Carmia. Elle ne fit pas le lien entre les deux éléments tout de suite, cela se fit crescendo. Son visage prit en un spasme très rapide une forme singulière, entre la stupeur et l'inquiétude. Cependant, la sorceleuse l'étouffa pour reprendre de son apathie et indifférence générale :

- " Tu veux que j'dise quoi ?... 'Fin j'ai une question. L'Empire ne surveille pas à tout instant notre positionnement ? "

Il aurait pensé que le fait d'être ainsi surveillé, en laisse comme un clébard, aurait pu en énerver plus d'un, surtout elle.

- Je l'ignore. Je ne suis pas censé détenir cette information en réalité, alors si tu pouvais ne pas la propager cela m'éviterait quelques ennuis. Tout ce que je sais c'est que nos dispositifs sont enchantés de manière à donner une position approximative en continu, je ne connais pas la fréquence de surveillance ni la précision exacte.

En somme, l'information était trop partielle pour qu'il l'ait obtenue de source interne.

Peut-être bien que la sorceleuse s'était assagie, et n'était plus dorénavant aussi impulsive qu'elle ne l'était autrefois... Ou pas.

- " T'as vraiment aucune info dessus ? Ou tu me mens putain ? "

Avant de céder à une certaine panique intérieure, Carmia voulait puiser le plus d'indices et d'éléments possibles. Ça n'était guère une mince affaire dont il s'agissait là.

- Pourquoi le cacher si j'en avais. Partant du moment ou je t'ai révélé l'information dans sa globalité autant tout dire. Je ne peux que supposer qu'ils n'ont pas l'oeil sur nos xenovox en permanence et que c'est au petit bonheur la chance, et estimer la précision à l'échelle d'une province bien que je puisse me tromper.

En somme, l'on ne verrait pas de différence si elle était à Novigrad ou Oxenfurt, ce n'était toutefois qu'une hypothèse.

Maintenant que la crainte venait d'être adoucie par les hypothèses que le Nilfgaardien venait de faire, la sorceleuse laissera quelque peu sa révulsion faire surface :

- " Putain, ils m'les brisent ces fils de pute. J'ai qu'ça à foutre d'être fliquée putain ! Et toi j'espère tu m'racontes pas des magouilles, sinon j'te ferai morfler "

Pour appuyer ses propos et sa figure qui délivrait déjà bien le message, elle pointera en direction de son interlocuteur son index, comme signe d'avertissement.

- Range donc ce doigt menaçant, je risquerais de me faire dessus. Et explique moi pourquoi je mentirais, j'ai une tête de clown ?

Non, il n'avait pas une tête de clown, c'était à se demander s'il avait déjà fait une blague dans sa vie.

En réponse à la sommation qu'on venait de lui faire, la sorceleuse restera fidèle à elle-même, et fera un majeur gracieux :

- " Oui, beaucoup. Le plus gros pitre du Continent "

Lui aussi restera égal à lui même: impassible.

- Eh bien gausse toi, mon faciès prête à rire pourtant je ne te vois nullement te rouler par terre les larmes aux yeux. A moins que je ne sois un clown triste ?

- " J'ai l'air d'une clocharde qui s'roule par terre ? "

Son poing droit viendra drainer plus de sang dans les veines l'habitant : Carmia serra sa main.

- Je ne laisse pas des souillons m'enlacer devant des palais, si ca peut répondre à ta question.

Avec lui, il valait mieux s'attendre à ce que tout soit utilisé comme arme même s'il était présentement aimable.

Un temps d'absence et de réflexion. La sorceleuse ne comprit pas directement ce qu'il sous-entendait par cela. Il lui fallut plus de dix secondes avant que ses yeux ne s'écarquillent, que son visage reflète une honte certaine, et que ses joues ne prennent une autre teinte.

- " Bordel... Tu t'souviens encore de mes agissements d'merde ?"

Il la regarda réfléchir, tout ce temps pour ca ? Avait elle si peu de mémoire ?

- C'est étonnant ? Je ne suis pas encore sénile.

À vrai dire sa mémoire était plutôt sélective. Occultant ce qui ne lui apportait aucun avantage, ce bref événement avait dû passer pour sûr à la trappe.

- " Ouais très. D'mon côté j'l'avais zappé "

Fait qui ne semblait pas l’émouvoir plus que ca, pouvait il être ému à vrai dire ? Probablement pas.

- Soit. Je te recontacterai concernant ton "embauche". J'espère que tu fais une bonne espionne, enfin il vaudrait mieux pour ton salaire et pour ma réputation également.

Sortir les autorités locales de la panade serait un joli coup à son tableau de chasse, et une belle occasion de se faire voir comme l'homme capable de faire face à tout types de situations.

Ayant repris de la contenance et de la prestance, la sorceleuse tournera les talons vers la direction inverse.

- " J'attendrai pas qu'tu m'recontactes, demain j'irai m'balader dans le Lacis et ses bars pour prendre de l'avance "

Carmia commençait déjà à battre en retraite. Effectivement il se faisait tard, et pour une fois que la quiétude la saluait de nuit et lui autorisait à trouver, elle n'allait pas manquer cette chance.

- " L'argent ça m'arrange, par contre pour ta réput " Elle se retourna vers l'intéressé. " Entre nous, on s'en bat les couilles "

- Soit. Et tu devrais voir les choses d'une manière plus large, avoir des connaissances haut placé dans l'armée peut t'apporter des choses. Enfin, tu n'es plus une enfant, quoique, impulsive, téméraire...

Au fond, il avait raison.

- Je me suis toujours demandé si tu forçais le trait pour passer pour une dure, d'ailleurs.

Une supposition lâchée dans le vent, un élan de curiosité de la part du xanthe.

Sa progression dans la ruelle fut mystérieusement stoppée, et sec, pas de manière progressive. Stoïque dans un premier temps, la sorceleuse portera sa voix pour qu'Herewen entende distinctement ses paroles, malgré les dix mètres qui les séparaient :

- " L'armée, j'l'emmerde, j'ai pas besoin d'son aide "

Ce fut la deuxième phrase et interrogation du xanthe qui la fit revenir sur ses pas en catimini. Il avait touché une corde sensible, assurément, et les actions présentes de la sorceleuse l'avait prouvé. Alors, pour masquer cette bêvue, Carmia s'imprégnera de son rôle au mieux :

- " J'ai l'air de forcer l'trait ? " Arrivée de nouveau à sa hauteur. " Et toi putain, tu force le trait sur ton caractère d'emmerdeur ou c'est naturel ? "

Paradoxalement, le fait qu'elle revienne sur ses pas et cherche à se conforter dans le rôle qu'il supposait qu'elle s'était donné ne faisait qu'accentuer son impression. Il la regarda cinq bonnes secondes sans rien dire ni bouger, le regard d'Herewen avait quelque chose d'à la fois incroyablement perçant comme si ses iris étaient des piques saillantes, et paradoxalement une profondeur abyssale.

- On peut lire en toi comme dans un livre ouvert. Déclara sa voix rompant un silence qui avait commencé à être pesant et sans répondre à la question de Carmia, confirmant par là son interprétation avant de se retourner.

En réalité la suite des événements allaient dépendre de la réponse du blond. A vrai dire, le mutisme qui suivit ses questions commençait fortement à l'embarrasser, et elle hésita même à détourner son regard et à abandonner l'affront pour que son trouble ne se remarque point. Mais heureusement, miséricorde, la phrase du xanthe brisa cet instant, qui risqua même de céder la place à un affrontement. Puisque, bien évidemment, que le militaire ait cerné la vérité sur son caractère, cela la froissait fortement, et Carmia était même prête à laver cet affront d'un poing dans sa mâchoire. Mais visiblement Herewen avait une chance inestimable ce soir-là... Le laissant se retourner et potentiellement partir, la sorceleuse ne bougea pas d'un iota pendant plus d'une minute, ses prunelles débordant d'une colère et frustration qu'elle n'avait pas pu évacuer par le biais de son poing. Décidément, son comportement vaniteux et pédant ne lui avait pas manqué. Lorsqu'il sera définitivement parti des lieux, Carmia prendra la direction opposée ; quitte à emprunter des détours fastidieux, elle ne désirait plus le croiser de la soirée.

- " Bouffon... "

Herewen, grâce à ses sens de sorceleur avait bien évidemment entendu et aura jeté une ultime palabre à cette discussion.

- Tu n'arrivera pas à porter ce masque éternellement, j'espère que tu en es consciente.

L'ombre succéda à ses paroles: il était parti au coin d'une ruelle.