Devant le Grand Palais

La jeune sorceleuse n'avait pas tenus compte des dernières paroles du xanthe, trop peu intéressante de son point de vue. Si la guerre éclate elle ne pourra rien faire, en parler ne servira à rien, elle se contente plutôt d'être spectatrice ignorante de cet exemple de violence gratuite, ici l'attaque des basanés. Néanmoins, elle ne pouvait demeurait silencieuse longtemps, elle ne pouvait laisser ce vide sonore engloutir les deux camarades pour une éternité, de son point de vue. Que choisir comme thème de discussion ? Doit-elle l'engager ou laisse-t-elle ce privilège à Herewen ? Sachant que celui-ci n'est certes pas bavard... Trop de questionnements, sa tête surchauffe et laisse un long soupir s'échapper des lèvres de la Pianienne, comme un nuage de fumée provenant d'une machine en combustion ou en activitée. Pendant que ces nombreuses hypothèses de discussion défilent dans sa tête, la bibliothécaire et la fausse rousse continuent d'avancer, dans un calme complet. Cela en devenait ridicule, la mutante ne souhaitait plus se noyer derechef dans le silence, de peur de reprendre sa démence.

Ses pieds écrasaient avec tendresse le sol tandis que sa robe sanguine accompagnait toujours les pas de Carmia, ceux-ci étant lent pour suivre le rythme du marginal. Le visage de la jeune fille se tournera un instant vers celui de son précédent interlocuteur avant de revenir vers le sol. Esquissant et accordant intérieurement sa voix, la natif de Piana fera sans prévenir le grand saut, relançant l'échange verbal par :

-En parlant de la bataille, merci de m'avoir aidé.

Court, direct, concret. La future sorceleuse aux prunelles miels n'aimait guère s'éterniser dans de plates et pitoyables excuses, cela explique et justifie sans doute le manque de mélancolie et drame dans sa minuscule tirade.

Si il était bien quelque chose de déroutant chez le xanthe, c'était l'illisibilité de ses pensées. Il semblait toujours plongé dans ses pensées, comme ailleurs, ou avec cette face courroucée lorsque quelqu'un osait le confronter. Mais pour le reste, rien, le néant. Impossible de savoir si ce silence le gênait ou lui convenait, impossible de deviner si il attendait que l'autre parle ou si il cherchait lui même ses mots. Impossible enfin de savoir ce qu'il pensait de son interlocuteur, et c'était peut être là le plus dur à supporter.
C'est au terme de cette marche s'étant déroulée dans un silence assourdissant rendu encore plus lourd par l'immensité du palais et l'oppression effectuée par son architecture imposante qu'ils arrivèrent enfin à leur destination.

- De rien.

Il aurait aimé en dire plus, ses lèvres frémirent d'ailleurs un instant, mais il n'en dit rien. Il ne pouvait tout simplement pas, et cela lui coutait énormément comme toujours. Mais son mutisme corporel revint bien vite.

- Je te retourne les remerciements, être entouré lorsqu'on est au plus mal est plus agréable que je ne l'aurais pensé.

Sûrement faisait il référence à ce moment de la bataille ou, isolé de tous, il avait appelé à l'aide et que nombreux étaient ceux à s'être retournés. Même ce simple geste, cette simple vision de ses compagnons répondant à son appel avait eu de quoi le rassurer quand bien même il avait des haakis aux fesses.

Déroutant, c'est l'adjectif qui conviendrait à merveille au xanthe au sujet de sa relation avec les sentiments. Ils semblent si proche mais les émotions ne lui montrent guère leur affection pour lui, et inversement. C'est un rapide constat que pourra effectuer la Pianienne durant le silence qui suivra la dernière phrase d'Herewen. C'était bien la première fois qu'il semblait éprouver quelque chose qui penchait vers le positif. La chose logique pour elle serait de lui souffler à son tour un rapide et discret "De rien", mais ses lèvres et ses cordes vocales en sont incapables. Comme gelées dans le temps, figées et coincées dans les filets du silence, rien ne sort de sa gorge, rien excepté ce mutisme glaçant, tout comme le froid qui s'installait grandement et progressivement sur les lieux tamisés. Ses songes qu'elle apprivoisait éveillée ne voulaient pas lui laisser la parole, elles souhaitaient garder toute la précieuse attention de Carmia. Lui sussurant à l'oreille de poser cette fameuse question, ce doute qui plane et torture sa tête sans relâche, mais pas maintenant, pas durant ce délectable et délicieux moment de calme. Briser le doux son du vent par cette interrogation se posant dessus comme un cheveu sur la soupe serait péché, elle ne pourrait endosser une attitude droite après une t'elle erreur. Encore quelques secondes, quelques instants de repos, de quiétude... Quelques moments mémorables.

-...

Ses mains étaient toujours jointent devant elle, caressant de temps à autre le fin et soyeux tissu de son habit qui ne cessait d'emprisonner la demoiselle. Sa tignasse brune enduise de roux effleurait calmement ses épaules pendant qu'elle tenait encore maintenue et soutenue par ses oreilles. Mais après un pas trop rapide, ses mèches cuivrées s'échapperont de cette étreinte forcée pour voguer devant et derrière la natif de Piana, libre de leurs mouvements.

Une vision panoramique et féerique, coupant le train train habituel flottant dans sa tête, arrachant sa réflexion profonde et ennuyeuse. Le regard ocre et or de la mutante frottera avec douceur les étendues et l'horizon qui peu à peu l'emportait dans une rêverie tant attendue. Plus rien ne bougeait extérieurement de son côté, elle restait bloquée dans une immobilité singulière, une statue de cire réaliste et splendidement reproduite. Levant les iris lentement vers la voûte céleste occupant la fonction de plafond pour les deux sorceleurs et habitants, les nébuleuses arriveront à leur tour à posséder l'esprit frivole de la natif de Piana, sans douleur, naturellement...

-...

Toujours rien ne se déclarait dans l'espace sonore de la pièce, pas même un petit souffle orienté vers de paisibles paroles. Come totalement déconnectée, absente, la fausse rousse en profitera pour débattre avec ses méninges et sa logique. Lui demander ? Ou enterrer cette question ? Deux choix, pourtant elle n'arrivait pas à se décider. Une gamine indécise et ignorante, voilà ce qu'elle était, et plus le temps coulait plus elle s'en rendait compte.

-Herewen ?

Trop tard, elle a fait son choix. Sortant ce mot décisif, elle fût contrainte à enchaîner l'oration :

-Pourquoi es-tu amical ? Je veux dire, après l'incident au laboratoire...

Le silence s'installant fut brisé par la prononciation de son prénom, celui qui avait été appelé ne détourna pas le regard au moment ou son oreille entendit le premier mot de Carmia qui avait choisi de se lancer malgré ses doutes et ses peurs. Malgré le comportement et l'illisibilité du comportement d'Herewen qui le rendait impossible à jauger, impossible à prévoir.

Sa tête se tourna cependant lorsque Carmia eut prononcé ses quelques mots, sa question qu'elle pensait fatidique et qui lui avait demandé tant de courage.

- Combien de temps cela fait il? Un an? Peut être un peu moins? Herewen tourna la tête pour trouver enfin les yeux ambrés de Carmia. Cette bataille m'en soit témoin: il y a plus grave dans la vie que cet "incident". Surtout après tant de temps.

Un an, une éternité pour la jeune fille qui depuis cette date fatidique avait chuté dans une d'échéance délicieuse et admirable. Comme une malédiction jetée par le xanthe, depuis qu'elle avait osé lui répondre sur un ton impétueux et avait tenté de l'attaquer, de terribles et hasardeux malheurs se sont dressés sur son chemin déjà bien tordu. Durant ces mois de souffrances et torture psychologique la natif de Piana avait pensé à de multiples reprises à s'arracher la vie, stopper son cours, à y réfléchir il s'agissait du choix le plus censé... Seuls les fous seraient capables d'avancer alors qu'un poids aussi pesant sur leurs épaules les obstrueraient. La mort de sa mère encore frais dans sa mémoire, ce même assassinat qui a failli l'assaillir, la modification de son corps pour que celui-ci ne devienne qu'un fardeau et une abomination à ses yeux eux-mêmes peint d'une couleur monstrueuse, la perte de ses repères et rares soutiens moraux, sa dispute avec Herewen... Un t'elle tableau dressé ne pouvait que donner le cafard, un cafard s'immisçant dans la vie de l'individu visé pour la lui pourrir.

Alors il avait cessé de la haïr, il n'éprouvait aucune rancœur à son égard, ce constat laissera les membres de la jeune aspirante se détendre pour lui souffler à l'oreille qu'elle peut continuer la discussion sur ce chemin là, qu'il n'y a plus aucun danger. Ses mains moites à force de s'entremêler rapidement se calqueront derechef sur les plis de sa tunique avant que les iris or illuminées et ornées des constellations et nébuleuses voisines ne se fondent dans celles de son camarade. Elles ne tremblent plus, elles se contentent simplement d'épouser les formes et couleurs pastels des pupilles du garçon.

-Donc... Tu m'as pardonné ?

Après cette demande anodine, un évènement ou plutôt observation pourra être scrutée. Sur ses lèvres saupoudrées d'un rictus doux - ce qui est rare pour la fausse rousse -, un éclat sera potentiellement aperçu par la bibliothécaire, puis un deuxième, pour enchaîner sur un troisième et un quatrième... De légères et tendres larmes ruisselaient sur le minois de la mutante. En ce moment Carmia souhaiterait sûrement les faire disparaitre d'un revers de main, empêcher son aîné de graver dans sa mémoire ces lamentations silencieuses. Mais elle en était tout simplement incapable, la joie du à la dernière phrase d'Herewen la préoccupait tant que ses bras ne voulaient plus lui obéir, son esprit non plus, ils étaient simplement concentré sur ces mots produits par son interlocuteur.

C'était la première fois que la jeune fille montrait qu'en dessous de toutes ces vulgarités et acerbes paroles quelques touches sentimentales pouvaient encore être exposées aux yeux de tous. Ses mèches cuivrées battant les rebords et coins de son visage, la sorceleuse occultait ce désagrément pour n'attendre qu'une chose : une réponse à son interrogation.

Ce qui était peut être le plus troublant chez Herewen, c'était son incapacité à montrer autre chose que de la neutralité ou des sentiments négatifs en toute situation, et ce même lors des situations les plus inattendues comme présentement. Qui aurait pu rester de marbre face à la détresse désormais passée de la fausse rousse? Qui aurait pu ne pas sourciller dans ces circonstances, et surtout qui aurait pu faire comme si ses larmes n'existaient pas? La réponse tenait en un seul mot: Herewen.

- Oui.

Pourtant, ses yeux marron se posèrent sur les perles nées des mirettes de sa cadette, les voyant dévaler ses joues en ce qui serait peut être un torrent. Carmia vit sa gorge se serrer l'espace d'un instant sans qu'il ne fasse rien d'autre. Peut être qu'elle n'était pas la seule à porter un fardeau sur ses épaules? Et peut être que celui du xanthe était tellement énorme qu'il justifiait l'ensemble de leurs conversations et de son comportement énigmatique?

- Si nous sommes désunis. Ses yeux remontèrent vers ceux de Carmia. Qui nous protégera?

Car les sorceleurs étaient seuls, désespérément seuls.

Le silence était l'ami d'Herewen car il pouvait se mouvoir et demeurer à l'intérieur sans que la gêne ne puisse s'en prendre à lui. Ainsi, les interminables secondes ayant ponctué sa "révélation" ne le dérangèrent pas plus que cela, il attendait la suite, tout simplement. Et peut être cela lui servirait il de leçon, car la suite était bien loin de ce que son esprit pragmatique aurait pu imaginer.

Le contact physique, tout comme le contact tout court, Herewen n'y avait jamais été habitué. Et ce n'était pas l'âge qui l'avait arrangé puisque jamais personne n'avait entreprit cela avec lui. Ses yeux se baissèrent sur la main de Carmia lorsque celle ci se posa sur son épaule dans le plus grand silence du concerné avant que son regard ne se retourne vers la mine attristée de Carmia, cherchant une explication dans ses yeux, quelque chose qui lui permettrait de poser une raison logique à tout cela, car c'était bien la seule chose à laquelle il pouvait encore se raccrocher.

Mais le coeur avait ses raisons, et la raison les ignorait. L'éprouvé se figea lors du second contact, que devait il faire? Ou dire? Le tacticien se trouvait perdu dans ses manoeuvres et aucun plan ne lui venait pour échapper au fardeau des bras de Carmia sur et autour de lui. Le devait il même? Pourquoi vouloir s'échapper? La raison, Herewen la connaissait: l'homme fuit naturellement ce qu'il ne connait pas.

Et toutes ces émotions, tout ces sentiments, Herewen ne les connaissait pas. En cette journée de mai 1378, quelqu'un prenait Herewen dans ses bras pour la première fois. Jamais depuis que les souvenirs avaient commencé à s'imprégner en lui il n'avait reçu telle preuve de... il ne saurait même pas dire quoi.

Si il semblait physiquement détendu, tout son esprit était crispé par le doute et ces questions incessantes, que devait il faire? Pourquoi? Y avait il une bonne solution dans cette situation?

Finalement, sur un coup de tête peut être, ou car il ne voyait pas d'autre solution, son bras gauche vint rejoindre le dos de Carmia lorsque la tête de cette dernière toucha son torse après de trop longues secondes de non réaction de la part du xanthe.

- Pourquoi?

Une question qui n'était pas nécessairement étonnante dans un monde ou les orphelins étaient légion, en cela, Carmia pouvait deviner l'histoire, ou une partie du moins, du triste sire qui la tenait dans ses bras.

Pourquoi ce geste, pourquoi cette marque de tendresse, pourquoi cette affaiblissement, pourquoi cet abandon, pourquoi cette révélation et mise au clair de sa force dérisoire face à sa mélancolie. Si seulement Carmia pouvait lui confier une réponse digne de ce nom, si la fausse rousse avait les mots pour calmer les interrogations du xanthe. La tête collée à lui, celle-ci semblait presque endormie, soutenue par cette accolade qui ne lui demandait aucun effort, elle demeurait naturelle. Un léger tremblement grattera la peau de la sorceleuse lorsque l'ermite déposera son bras gauche sur son dos, cela confirmait qu'il n'avait pas fuit, qu'ils ne s'étaient pas envoyer bouler et qu'ils ne s'étaient pas éloignés de leur position de départ. La natif de Piana se figea dans cette position, laissant une luisante et ravissante peau de verre l'engloutir. Se transformant en être dépourvu de vie, stoïque, gardant prisonnier de ses bras le garçon, la jeune aspirante laissera pourtant une respiration se hisser entre les habits d'Herewen et sa bouche. Une inspiration profonde, comme pour étouffer et cajoler ses pleurs, néanmoins lorsque la jeune fille lèvera sa tête vers le garçon toutes ses souffrances et chagrins avaient levés l'encre, abandonnant le visage de l'enfant pour que celui-ci vogue vers un semblant de cristal, de transparence. Ses prunelles l'imploraient de ramener leur ancien ami - tantôt aimable tantôt détestable - le bon vieux silence d'autrefois. Mais le blond ignora ses prières, il rejettait les signes de détresses de la mutante pour instaurer une question entre eux, une question qui n'était guère la bienvenue.

Accrochant son menton contre l'endroit où reposait précédemment sa tête, la jeune fille faisait désormais face au faciès de la bibliothécaire, sans une once de déviance oculaire, ses prunelles restaient nappées d'un magnétisme provoqué par celles de son interlocuteur. Cherchant indirectement une réponse à cette question dans le regard de l'émérite, la fille aux cheveux auburn finira par renoncer, abandonner cette quête et recherche de satisfaction à l'encontre des incertitudes d'Herewen.

-Parce-que...

Oui, en voyant le minois de sa cadette il peut aisément le voir, la douceur qu'elle dissimule à grande peine, les tourments qu'elle n'a jamais voulu montrer aux autres, de peur de paraître incapable de les surmonter.

Sans attendre la brune glissera derechef son visage au chaud comme auparavant, protégé du monde extérieur froid et cruel, violent et barbare. Comme une enfant avec sa mère, Carmia laisse des défauts refaire surface le temps d'une minute pour embaumer une liquette de douceur.

-Je souhaite juste un câlin, cette chose que je faisais à ma mère lorsque j'allais mal, je veux juste sentir que je ne suis pas seule.

Une mutante, certes. Un monstre, possible. Une abomination, soit. Dénuée d'émotion, jamais.

Si le champ de bataille qu'avait été les faubourgs est de la ville s'était avéré être un foutoir sans nom, ce n'était rien face à l'esprit de l'aedirnien en ces quelques instants qui se trouvaient être longs, bien trop longs pour celui qui connaissait rien à toutes ces choses qu'étaient l'affection et le besoin de contact. Les sentiments se mélangeaient et s'entrechoquaient dans son esprit: entre gêne, honte, incompréhension, envie et retenue. Il avait répondu à son étreinte d'une bien timide façon et cela se sentait: il n'était pas à l'aise, et encore moins détendu. Il était au contraire à l'affut comme si la foudre d'Alzur s'apprêtait à lui tomber sur la tête dès l'instant prochain. Carmia ne pouvait que l'entendre avec son oreille collée contre le torse de son aîné: son cœur battait anormalement fort malgré son visage toujours aussi impassible, ce qui soulignait d'ailleurs une maîtrise de soi défiant les limites du possible.

Le minois doux de Carmia n'y fit rien, pas plus que ses paroles, Herewen demeurait impassible sur son visage bien que son coeur témoignait qu'il n'était pas indifférent à cet acte. Mais qui serait assez doué pour deviner quel sentiment exact se cachait derrière cela.

- J'ignorais que les mères faisaient ce genre de choses.

Une réplique presque assommante pour qui avait un jour eu une vraie famille. Presque surréaliste, c'était le mot, et pourtant, combien d'enfants étaient dans son cas? Combien avaient grandi sans la chaleur de leurs parents. Mais le traitement des enfants surprise par leur famille était parfois bien pire, et cela, l'on y pensait pas assez...

Pour le reste, seul le silence répondit à Carmia, ce même silence qui l'avait oppressée, énervée, terrorisée, ce silence là la rassurait en ces instants étranges, pour son plus grand plaisir cette fois, car Herewen ne répondit pas.

Ses actes parlaient pour lui.

Que le garçon se prélasse gentillement à ses côtés ou qu'il au contraire ne recule lentement n'interpellait pas plus que ça Carmia, elle se cramponnait grâce à ses bras au garçon comme-ci le sol menaçait de s'écrouler et s'effriter sous ses pieds. La future pensée de la fausse rousse était bien étrange, mais elle témoignait de la quiétude enveloppant la jeune fille sans que celle-ci ne puisse exprimer une quelconque agressivité, et c'était plutôt rare. La sorceleuse semblait confondre les battements du cœur affolé d'Herewen avec le rythme d'une berceuse vive et enchanteresse. Son esprit las faisait tout pour glisser l'aspirante dans un havre de paix et dans le monde de Morphée pour ainsi gagner la bataille qu'il mène depuis quelques minutes. Cette mélodie invite crescendo la fille de forgeron à s'endormir dans les bras du xanthe, à lâcher prise pour s'abandonner au sommeil. Mais sa conscience lui sussurait à l'oreille de résister, de vaincre cette épreuve pour se redresser, mais l'envie de rester cajolée dans cette étreinte devenait de plus en plus forte. Pour sûr elle souhaitait rester dans le monde de l'innocence, se confondre et prendre pour une enfant dans les bras de son grand frère, dormir peut-être, cela faisait partie d'une de ses envies les plus importantes. Pourtant, entre deux souffles émis par ses lèvres légèrement entrouvertes, la jeune natif de Piana finira progressivement à se redresser, redevenir l'impassible et froide ainsi que vulgaire Carmia. Bien évidemment la confidence de la bibliothécaire ne fût pas tombée dans l'oreille d'une sourde, elle ne lui en tiendra cependant pas rigueur, elle préférait stocker cette information au creux de sa mémoire.

-J'ai... Je devais te montrer une chose la dernière fois, au laboratoire.

Remettant quelques de cheveux enduit de cuivres derrière son oreille, la jeune fille se reculera de deux pas avant de tendre son poing fermé droit vers elle.

-Mais malheureusement on a pas pu en parler.

Sans cri égard, la sorceleuse en devenir infligera une pression au niveau de cette main, de ces doigts, de cette paume. Rejetant sa force à ce niveau précis après l'avoir fait parcourir un immense chemin à travers son corps, la mutante fermera ses paupières pour mieux se concentrer et visualiser une couche de métal prendre possession de cet infime membre.

L'etreinte en était bien une pour le xanthe, celle qui vous enfermait et vous piégait en son sein sans possibilité de s'enfuir, qui se resserrait à chaque instant sans que l'on ne comprenne pourquoi ni comment s'en échapper. Car c'était bien l'incompréhension qui régnait toujours dans l'esprit et dans le cœur d'Herewen, l'incompréhension quant à ce geste, et quant aux pensées de la personne le lui ayant prodigué. Il se sentit presque revivre lorsqu'il fut lâché, et ce malgré le fait qu'il ne comprenait pas plus pourquoi cela lui était désagréable de prime abord.

Il regardera ensuite sans faire de commentaire du métal se former timidement et difficilement autour du poing de la jeune fille qui fut assaillie par une grande fatigue.

- Étonnant. Utile également.

Commenta t-il simplement. Il devait s'agir de ces fameuses particularités dont parlait Morvid chaque année et que chaque sorceleur possédait apparemment.

- Qui est au courant?

Un flux continu, une décharge de sensations froides. Toute sa force voguait vers son poing qu'elle tendait au hasard, au destin, à la chance. Elle espérait que ces concepts immatériels puissent accepter la demande de la jeune sorceleuse, elle ne souhaitait que réussir son action, ne pas rester en plan comme une pauvre sotte, la main levée et immobile, sans que celle-ci ne soit touchée par ce don de métal. Poussant un soupir dégoulinant de soulagement en apercevant que ce membre avait bien été enduit de fer, la Pianienne forcera et continuera sur cette lancée, au diable sa fatigue, elle souhaitait montrer de quoi elle était capable, que son pouvoir ne s'arrêtait pas là et qu'elle était capable de bien plus. Ses dents se serraient incessamment, et les traits de son visage se durciront laisser entrevoir une mine déterminée, contribuant à la réussite de son action.

-Je...

Agrippée par une puissante fatigue encombrant ses membres, les plongeant dans un état engourdis, la fausse rousse dévoilera ses informations nécessaires au compte de goutte, lentement en occultant certains mots pour mieux se concentrer sur son poing métallique.

-C-C'est... Je peux faire plus... Ça dépend des jours. J'arrive à laisser un espace de chair entre... Deux parties de métal. Je suis pas allée plus loin dans les entraînements...

Reprenant son souffle, la fille de forgeron posera son autre main sur son avant bras endommagé par son pouvoir comme pour soutenir ce poids imaginaire, éviter que celle-ci ne chute sous la fatigue.

-Caseï, Iphia et... Toi.

La mutante finira par lever des prunelles vers la bibliothécaire avant de lui souffler d'une voix presque hagarde.

-C'est ce dont parlait Valaar... Tu crois que je devrais aller lui en parler ?

La main de Carmia est cette fois ci recouverte de métal bien plus facilement, l'harmonie avec son pouvoir était bien présente.

- Je vois.

Et il le voyait effectivement, puisque le phénomène s'était accentué sous ses yeux. Un instant de silence, cette fois ci dédié au temps de la réflexion suivra.

- Demandes toi quels intérêts tu aurais à le faire, et quels intérêts tu aurais à ne pas le faire. Si tu choisis le secret, tu devra prendre gare à qui verra ce pouvoir.

Il ne comptait en somme pas décider pour elle, et se contentait de lui donner les clés d'un choix éclairé. Elle était au moins certaine que dans la mesure ou elle n'avait pas été convoquée par Valaar, elle n'avait pas été dénoncée.

L'éclat grisâtre s'intensifiera donc sur sa pauvre main qui se faisait progressivement nappée par cette couche luisante et dure. Impossible de mouvoir ses doigts ni d'articuler ses os constituant sa main, ils étaient tous prisonniers de ce don qui se manifestait avec brio sous les yeux intrigués d'Herewen. Cependant, parallèlement à cet exercice, sa fatigue se propageait à une vitesse déconcertante, si bien qu'elle allait bientôt gagner du terrain sur l'intégralité de son corps. Pouvait-elle tenir ne serait-ce que quelques secondes ? Approfondir sa démonstration pour de simples félicitations ? Pas tellement. Relâchant la pression et l'adrénaline s'injectant dans son frêle bras recouvert de son apparat rubis, Carmia lâchera un court soupir, symbolisant la fin de cette confidence.

-D'accord, j'y réfléchirai...

Excluant sa main de sa précédente position pour la coller au tissu de sa robe, la fausse rousse repassera celle-ci à l'aide de sa pomme de main droite, celle qui n'avait pas été touché par le fer. Elle décrètera ensuite sous un ton quelque peu lasse, fatigué, mais au combien détendu :

-Bon, je vais éviter de m'éterniser.

Tournant dans cri égard les talons, la sorceleuse soufflera à l'encontre de l'émérite deux secondes après son départ :

-Bonne soirée Herewen.

Avant de disparaître vers les contrées noyées sous les miasmes ténébreux, englouties sous les rayons bleutés et perçants de la Lune.

Il n'était en ces instants que spectateur des pouvoirs spéciaux de Carmia qui venait de terminer sa petite démonstration, le xanthe ignorant évidemment les différentes sensations et pensées de la jeune fille, puisqu'il n'était pas dans sa tête, et c'était sans doute pour le mieux.

- Bien.

Peu loquace il était, et peu loquace il demeurerait, et encore, sûrement avait il fait un effort afin de commenter cette affirmation de Carmia qui n'avait potentiellement pas à l'être...

- Je vais prendre congé également. Bonne soirée.

Soirée dont il s'était d'ailleurs libéré en sortant de ce palais, lui aussi ira vaquer à ses occupations, ne retournant pas dans l'édifice.